Lundi le 14 mars 2005
Québec, le 18 février 2005

À l’attention de Monsieur le Sénateur Serge Joyal

Pour que le droit au mariage ne soit pas vide de sens

Monsieur le sénateur,

J'ai bien reçu votre lettre du 7 février 2005, concernant la question de l'extension du mariage civil aux couples de même sexe. Le journal La Presse, dans son édition du 14 février 2005, en a publié un extrait.

Je vous remercie de votre participation à cet important débat de société répondant ainsi à mon article « Mariage et Société » du 22 janvier 2005.

Permettez-moi d'aller droit à l'essentiel de ce débat qui distingue nos positions respectives face à cette question. Dans l'extrait qui a été publié par La Presse, vous faites référence à deux systèmes de droit, qui existeraient de façon parallèle et indépendante dans une démocratie parlementaire telle que la nôtre. Vous parlez d'un système civil fondé sur les principes élaborés dans la Charte des droits et libertés, et d'un système religieux, fondé sur les règles de la foi et de la conscience.

Votre présentation oublie une donnée fondamentale, c'est-à-dire une référence à l'ordre naturel des choses ou, pour parler de façon plus philosophique, à la loi naturelle. Ainsi, les normes des deux systèmes ne sont valables que dans la mesure où elles sont fondées sur la loi naturelle tout en respectant les données fondamentales. Il s'agit là de données objectives dont personne, qu'il soit législateur ou non, ne peut changer arbitrairement le sens.

Appliquée à la question qui nous occupe, cette affirmation entraîne la conséquence suivante le mariage, avant d'être une institution de la société civile ou d'une société religieuse, est une donnée fondamentale de la réalité humaine. En langage religieux, nous disons que le Créateur lui-même a donné à l'union de l'homme et de la femme sa forme propre et ses finalités. Mais nous pourrions dire aussi, en langage sociologique, que depuis l'apparition des premiers humains, c'est sur l'union reconnue d'un homme et d'une femme qu'a reposé la responsabilité de la conservation de l'espèce humaine. Une telle union a évolué vers une réelle égalité et un respect mutuel accru entre les partenaires, et c'est heureux, mais sa réalité de base n'a pas changé. S'écarter de cette donnée fondamentale, c'est faire place au subjectivisme et à l'arbitraire au risque de saper les fondements mêmes du droit civil.

Un passage de votre lettre me semble faire référence à cet aspect des choses. Vous soulignez que le mariage est une institution qui ne peut recouvrir ce que tout le monde voudrait y mettre. Mais, si on refuse toute référence à la loi naturelle ou, si vous préférez, à l'ordre naturel des choses, comment distinguer les changements possibles de ceux qui ne le sont pas ? Ce qui est considéré comme inacceptable aujourd'hui, voire comme farfelu, sera-t-il acceptable plus tard ? Sur quelles bases ? Au gré de quelle tendance sociétale du moment ? Vous voyez bien que notre débat dépasse le cadre d'une référence à une norme religieuse et se préoccupe bien plutôt de ce qui est objectivement fondamental à la réalité humaine.

Dans ce débat, comme dans d'autres, j'estime donc qu'on élargit abusivement la notion de « droit » et par conséquent celles d'« égalité » et de « discrimination ». Le droit d'une personne n'est pas bafoué quand celle-ci se voit refuser un geste, une action que l'ordre naturel rend impossibles. À titre d'exemple, un homme ne peut revendiquer le droit d'être « enceint ». De la même manière, deux personnes homosexuelles ne peuvent prétendre au droit au mariage qui implique essentiellement la conjugalité c'est-à-dire la complémentarité des sexes selon l'ordre naturel des choses.

Union civile

Les personnes homosexuelles, vivant en couple, ont vu leurs réels droits économiques et sociaux garantis par l'établissement, au moins au Québec, de l'union civile. Ne pas définir leur union comme un mariage ne les prive d'aucun droit, mais décrit seulement la réalité. Dans une telle perspective, le recours à la clause nonobstant ne s'avère d'ailleurs pas nécessaire. Il suffirait que le Parlement confirme la définition traditionnelle du mariage et garantisse ainsi le cadre juridique à l'intérieur duquel les cours fédérale et provinciale doivent interpréter les cas litigieux au regard de la Charte. Procéder autrement, par exemple dans le sens du projet de loi C-38, risque de diviser pour longtemps le pays et de jeter le discrédit sur ses institutions.

Vous insistez sur les bienfaits de la Charte des droits et vous rappelez, à juste titre, des situations difficiles du passé, voire d'un passé récent. Votre réquisitoire est assez éloquent. Même si j'estime que certaines affirmations demanderaient à être plus nuancées, j'admets que l'Église a dû progresser dans ce domaine. Depuis un certain temps déjà, en particulier sous le Pontificat du Pape actuel, elle a démontré un souci et un intérêt pour la défense des droits humains. Mais la promotion des droits humains ne peut se faire que dans la vérité et le respect de données objectives et fondamentales. Respecter une personne n'est pas satisfaire à toutes ses attentes. Nous le savons bien.

De même, vous faites référence à certaines conditions difficiles et à certaines injustices qu'ont vécues et que vivent les personnes homosexuelles. Votre plaidoyer mérite qu'on y réfléchisse sérieusement et qu'on fasse tout pour éviter de telles situations. Respecter la personne homosexuelle ne peut toutefois se faire au détriment du sens objectif de cette réalité humaine fondamentale qu'est le mariage. J'admets cependant que vous, y compris les pasteurs, doivent être une présence de soutien et non de condamnation auprès des personnes qui vivent des situations complexes. Vous avez apporté une contribution sérieuse à ce débat et je vous en remercie. J'espère que ces quelques points continueront d'alimenter votre réflexion face à la gravité d'une décision qui vous reviendra comme législateur.

Respectueusement,

Marc Cardinal Ouellet,
Archevêque de Québec et Primat du Canada

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